Par Emmanuel
INTRODUCTION
Le "Cheng Zi" Taïchi Chuan : un style méconnu ...!
Le style de Taïchi “Cheng Man Ching” est très développé dans le monde entier. Parfois vu comme l’une des variantes du style Yang, parfois considéré comme un style à part entière. Il s’est diffusé dans le monde grâce à l’énergie et à la personnalité très charismatique du Maître Cheng Man Ching (鄭曼青). Surnommé “Maître des 5 excellences” du fait de sa maîtrise de la médecine chinoise, de la calligraphie, de la peinture, de la poésie, en plus du Taïchi Chuan, le Maître Cheng, est le parfait archétype du maître…
Si le style est aujourd’hui largement diffusé et pratiqué, il reste curieusement, assez méconnu. Déguster un bon Wulong sans rien connaître de ses origines, caractéristiques ou indications thérapeutiques est certes très agréable, mais nous en apprécierons et comprendrons d’autant plus toute la saveur, en connaissant son terrain, se questionnant sur sa source, ses racines, sa montagne…
Alors voyageons un peu dans l’histoire de notre style !
C’est d’abord par sa branche américaine, que le “Cheng Zi” Taïchi Chuan s’est fait connaître au monde… Maitre Cheng Man Ching a en effet émigré et enseigné durant plusieurs années aux USA…. Le style a cependant deux autres branches importantes : en Chine (Taïwan) et dans le Sud-Est Asiatique. Ces 3 branches ont un socle commun, notamment la forme des 37 postures. Elles restent néanmoins différentes sur certains points, ce qui fait toute la richesse du style… C’est bien humain, au sein de ces branches, certains sont persuadés de détenir LA vérité, le véritable “Cheng Zi Taïchi Chuan”, le style pur !
Mais qu’est-ce qu’un style pur ?
Le style “Cheng” se caractérise par des postures assez hautes, des mouvements naturels continus et un leitmotiv permanent : la recherche du relâchement et de la “descente du Qi au dantian”… Ce sont parfois ces particularités qui ont fait dire à ses détracteurs qu’il était un style “mou”, sans relief ni efficacité martiale. Le Me Cheng a d’ailleurs été critiqué sur le fait qu’il aurait “inventé” une nouvelle forme, plus facile d’apprentissage pour les pratiquants peu persévérants… Il aurait “intellectualisé” le Taïchi Chuan, pour le transformer en une simple pratique gymnique, méditative, en l’expurgeant de ses qualités martiales….
Par conséquent, afin d’approfondir nos connaissances à propos de notre héritage et ainsi mieux comprendre les principes et origines de notre style, après différents articles consacrés aux branches et principes de la méthode, nous allons nous intéresser aujourd’hui, à ses racines…
Une triple racine, à vrai dire…
La triple “paternité” du style
Cheng Man Ching :
...Trois racines…
Le respect très chinois des convenances, la confidentialité, voire parfois le “secret” de certaines informations, les conditions politiques et sociales de la Chine du passé, sont autant de difficultés qui rendent complexe l’analyse des origines de notre pratique…
Par exemple, la biographie “officielle” du Me Cheng Man Ching, lui fait débuter le Taïchi Chuan en 1928 auprès du Me Yang Cheng Fu (certains récits évoquent même l’année 1932)… et débuter l’enseignement de la discipline en 1933, dans une académie militaire… soit seulement 3 à 5 ans après…
Nous ne remettons bien évidemment pas en cause les compétences de notre patriarche, mais 3 à 5 ans de pratique pour enseigner en école militaire, cela semble un peu court… même si certainement à l’époque, le sens de l’engagement et la motivation à pratiquer devaient être bien différents…
Par déférence et respect, Me Cheng Man Ching a toujours cité Yang Chengfu comme son unique maître. Il n’a d’ailleurs jamais prétendu créer un style. Ce sont ses élèves qui peu à peu ont considéré qu’il s’agissait d’un style à part entière, du fait des différences avec le style Yang “originel”. Ce sens du respect et de la loyauté est très louable, mais si l’on souhaite analyser les sources de notre pratique, il nous faut aller plus loin…
Car la “lignée Cheng Man Ching” n’est pas aussi rectiligne que le présente la version officielle !
Il est connu et admis que le Me Cheng Man Ching a également étudié un certain temps auprès de Zhang Qinlin (Chang Chinlin), après avoir rencontré le Me Yang Cheng Fu et sur recommandation de celui-ci. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a aussi étudié le Taïchi Chuan plusieurs années avec un autre maître, AVANT de rencontrer Yang Chengfu.
Il a en effet, dans les années 20, étudié auprès d’un maître chinois remarquable, appelé Ye Dami, également de l’école Yang.
En plus de Yang Chengfu, Ye Dami et Zhang Qinlin sont donc 2 personnages clés dans notre “famille taïchi”, dans la mesure où ils sont tous deux le lien entre le Me Cheng Man Ching et “l’ancienne école Yang”…
Explorons succinctement la vie de ces aïeux de notre école…
1 – Ye Dami (葉大密 1888-1973) :
le premier maître.
Ye Dami, en plus d’être enseignant de Taïchi Chuan, était aussi un pratiquant de Mian Quan (art martial chinois autrement appelé “boxe de coton”).
Médecin Traditionnel réputé (de père en fils depuis 3 générations), il était spécialisé en Tuina (!) et pratiquait Qigong, Yoga et Daoyin, tout en étant connu pour ses dons en hypnose ! Il maîtrisait enfin le bouddhisme tantrique.
Il fut le 1er professeur de Cheng Man Ching dans les années 1920-25 (?) et c’est lui qui l’a introduit, avec Pu Bingru et Huang Jinghua auprès de Yang Cheng Fu et de Zhang Qinlin…
La pratique de Ye Dami a été diffusée jusqu’à nos jours sous le nom “Yejiaquan”, “Style Ye”, ou “Ye Dami Taïchi”, style qui a conservé les 3 grandes influences reçues : le style SUN (Lutang et Cunzhu) notamment pour ses méthodes de neïgong, le style Yang (de Tian Zhaolin), et l’épe Wudang (de Li Jinglin). Ses successeurs sont respectivement Me Jin Renlin et son élève Me Jian Lan.
Enfin, Me Ye Dami a eu une influence importance sur le cinéma chinois durant la guerre sino-japonaise… il aurait été “espion” et torturé durant les années “dures” de la Chine mais ce serait trop long à développer ici !
Personnage à la vie très riche, Ye Dami est un maître très peu connu de l’école Yang. Il est pourtant très intéressant !
Il fut tout d’abord élève de Yang Shaohou et de Tian Zhaolin, tous deux élèves de Yang Jianhou (père de Chengfu et fils de Luchan !).
Tout comme Tian Zhaolin, il a également été élève de Yang Cheng Fu, dont il a participé, avant et après la mort de celui-ci, à la diffusion et structuration de l’enseignement (aux côtés de Tian Zhaolin, Chu Guiting, Zhang Yu, Gu Liuxin, Fu Zhongwen, Wang Ziping, Wu Yunzhuo et d’autres). Il a aussi reçu l’enseignement de Zhang Qinlin, dont il a rédigé une biographie, et à partir de 1925, du fameux Sun Lutang et de son fils, Sun Cunzhou (孫存周 – style SUN), dont il devint un ami très proche.
Il créé en 1926 la “Wudang Taïchi Chuan Society“, première association de “Taïchi Chuan” au monde et dans l’histoire (1ère à utiliser ce terme), dans laquelle de nombreux maîtres de l’époque (dont Zhang Qinlin) ont aussi enseigné. Le Me Cheng Man Ching en sera d’ailleurs l’un des premiers étudiants… En 1928, il devient le 5ème directeur de l’Institut National de Recherche sur les Arts martiaux en Chine. Cet institut sera un lieu de passage extrêmement riche pour l’époque, car il verra la plupart des maîtres d’arts martiaux se rencontrer, échanger, etc…
Ye Dami était réputé pour sa pratique de l’épée qu’il a reçue de Li Jinglin (李景林 1885-1931), surnommé “épée immortelle”, ou encore “épée divine”. Il lui a enseigné “L’épée de Wudang” dont Me Ye fera une partie importante de sa pratique, incluant notamment la méthode de combat à deux, qui n’existait pas auparavant dans la famille Yang… Notons d’ailleurs que c’est grâce aux apports spécifiques de Li Jinglin que la pratique de l’épée a été intégrée au Taïchi de la famille Yang, et qu’elle s’est développée par la suite.
On retrouve l’héritage de cette pratique particulière de l’épée dans le style du Me Cheng, qui en fait l’un des 3 piliers de son école (avec la forme et le tuishou), avec pour particularité de proposer beaucoup de “tuijian”, le tuishou à l’épée. Une pratique légère et joyeuse… Nous y reviendrons plus loin…
Outre Me Cheng Man Ching, Me Ye Dami a également eu pour élève, Huang Jinghua (黃景華), Zhang Shuhe (張叔和), Jin Renlin (金仁霖), Jiang Sizhong (蔣錫榮). ), Cao Shuwei (曹樹偉)… et Pu Bingru (濮冰如), pourtant connue comme l’une des première disciples “femme” de… Yang Chengfu !
La partie la plus célèbre de son enseignement, reconnue en Occident, est probablement « Wu-chi-shi (無極勢) – Positions de l’Infini », popularisée par Tsai Songfan dans son livre “Wu Chi Shih. Exercices de respiration”, traduit en anglais en 1986. Cette méthode, similaire au “zhang zhuann gong” (posture du pieux) que l’on peut considérer comme “l’arbre du Taïchi” , aurait été transmise par Yang Chengfu, d’abord à Ye Dami (葉大密), qui l’a enseignée ensuite à Jin Renlin (金仁霖), que l’on voit enseigner le tuishou ci-dessous :
A noter : Le Me Cheng Man Ching était aussi un poète, peintre et calligraphe renommé… ainsi qu’un médecin traditionnel très réputé. Il n’a donc certainement pas eu avec son 1er maître, que des échanges à propos du Taïchi Chuan !…
Pour quelle raison le Me Ye Dami lui aurait-il présenté Yang Cheng Fu ? Ce que l’on sait, c’est que lorsqu’il était élève de Ye Dami, Cheng Man Ching était déjà réputé pour son art médical… Ye Dami l’a présenté à Yang Chengfu, dont la femme était très malade, laissant les médecins impuissants. C’est suite à la guérison de sa femme par Cheng Man Ching, que Chengfu a décidé de lui enseigner l’ensemble des “secrets” de son art, et notamment les secrets “internes”… C’est d’ailleurs Yang Chengfu qui présentera par la suite le Me Cheng à Zhang Qinlin, réputé pour son savoir “interne”.
Quelques anecdotes… pas si anecdotiques…
Les choses ne sont jamais vraiment linéaires… Même à cette époque…
Si le Me Ye Dami a été “noté” comme élève du Me Yang Chengfu, il semble qu’il avait une influence bien plus importante que celle d’un simple élève… Lors de la première édition de l’ouvrage sur le Taïchi Chuan de Yang Cheng Fu “Comment utiliser le Taïchi”, rédigé et publié en 1931 par Dong Yingjie, Ye Dami aurait critiqué l’ouvrage, le jugeant, bien que bon sur le fond, trop “vulgaire” dans sa rédaction… Yang Chengfu a alors fait retirer de la vente tous les ouvrages et les a fait brûler… Ce n’est que deux à trois ans plus tard qu’il sera re-publié, sous la plume de Cheng Man Ching et de son “frère de pratique” Huang Jinghua, sous le titre « Taijiquan Tiyong Quanshu – Guide complet sur l’essence et l’application du Taijiquan »… Un vieil exemplaire de la toute première édition a été retrouvé et publié en 1984, mais c’est une autre histoire…
2 – Yang Cheng Fu (楊澄甫 : 1883 – 1936) :
le “maître officiel”
Me Yang Cheng Fu est considéré comme le fondateur du style Yang “moderne”… par opposition à ses aïeux, dépositaires de “l’ancienne école Yang”. Comme il se doit, il a été critiqué à l’époque par les tenants d’un taïchi “pur” et aujourd’hui encore, certains critiquent le style Yang moderne, comme étant moins “pur” que l’école Yang Laojia (“ancienne école”)… De même que le style “Cheng” est critiqué car moins pur que le style “Yang moderne” !
Nous ne referons pas dans ces lignes la biographie de Yang Cheng Fu, par ailleurs suffisamment diffusée. Evoquons simplement le fait que celui-ci était très ami avec Wu Jianquan (fondateur du style WU), fréquentait également Sun Lu Tang et Wang Xiangzhai (DACHENG CHUAN – ils ont enseigné dans la même école d’arts martiaux en arrivant à Shanghaï). Les échanges devaient donc être très riches ! On parle beaucoup de secrets d’écoles jalousement gardés… Mais l’on omet plus facilement d’évoquer le fait que les experts de l’époque se côtoyaient, échangeaient, se rencontraient librement et fréquemment (souvent en privé pour éviter éventuellement de “perdre la face”).
C’est Ye Dami qui a présenté Cheng Man Ching à Yang Cheng Fu, pour qu’il reçoive son enseignement.
Hypothèse personnelle : Cheng Man Ching étant un “pair” de Ye Dami en médecine (dans l’un de ses ouvrages, il le nomme “collègue”), il est plausible que ce dernier lui ait demandé de soigner l’épouse du Me Yang Cheng Fu, alors gravement malade. Quoi qu’il en soit, c’est après que Me Cheng ait guéri sa femme (et à la demande de celle-ci !) que Yang Chengfu décide de “ne rien garder” de son enseignement et de dévoiler y compris la partie “ésotérique” de son Taïchi… C’est ainsi que Cheng Man Ching a reçu le travail interne de la famille Yang, “en secret”…
Quelques anecdotes… pas si anecdotiques…
En 1935, un an avant sa mort, Yang Cheng Fu a demandé à Zhang Qinlin, l’un de ses premiers élèves, d’instruire le Me Cheng au travail interne (Neïgong)…
Pourquoi ne l’a-t-il pas enseigné lui même et pourquoi a-t-il choisi précisément Zhang Qinlin ?
En fait, à la mort de son père (Jianhou), le niveau atteint par Yang Cheng Fu n’était pas encore très élevé. Son père lui aurait d’ailleurs reproché, “sur son lit de mort”, son manque de motivation et de persévérance à pratiquer l’art de la famille, son incapacité à relever un éventuel défi… et donc d’avoir gâché l’héritage transmis…
Malgré les remords et promesses de son fils de s’améliorer, Yang Jianhou aurait demandé à Zhang Qinlin, qu’il avait formé durant de nombreuses années, de servir secrètement de garde du corps à son fils, en devenant l’un de ses tout premiers disciples.
Il est donc tout à fait plausible, comme la suite va nous le montrer, que Zhang Qinlin, quoiqu’officiellement élève de Yang Chengfu, était plus compétent dans la pratique (notamment des méthodes internes)… Cela explique aussi pourquoi il a défendu la famille Yang lors du fameux défi lancé (à Yang Cheng Fu) par Wang Laisheng (en 1926 ?).
3 – Zhang Qinlin 張欽霖
(1887-1967 ou 1969, selon les biographies) :
le maître de “l’interne”.
Une biographie… “complexe” !
Autre personnage clé des racines du style “Cheng” : le Me Zhang Qinlin… C’est de lui (via son Maître, Zuo Laifeng) dont provient le travail interne du Taïchi du Me Cheng Man Ching.
Tout d’abord, ce qui ne simplifie pas les choses… Il y a eu deux “Chang Ching Ling” (homonymes) qui ont été parmi les tout premiers disciples de Yang Cheng Fu… Prononciation presqu’identique des deux noms… mais écriture chinoise différente… Cela explique les confusions, parfois, entre les deux personnages…
Le premier Zhang Qinglin (張慶麟 avec un “g”), né en 1913, est le neveu de Yang Chengfu. Pratiquant de boxe chinoise depuis qu’il est enfant, il possède de solides compétences en Tai Chi. Il a toujours accompagné Yang Chengfu en tant qu’assistant et vivait chez lui.
Dans la section “Tai Chi Sanshou” de l’ouvrage “Comment utiliser le Tai Chi” compilé par Yang Chengfu, Zhang Qinglin apparaît avec son professeur sur plusieurs photographies démontrant le sanshou. Il a ensuite enseigné à Shanghai, mais est décédé jeune suite à une maladie.
Le “Zhang” qui nous intéresse ici est bien Zhang Qinlin (張欽霖), né en 1887 (mort en 1969 ou 67). Il a donc seulement 4 ans de moins que son professeur, Yang Cheng Fu.
Nous avons déjà parlé de Zhang Qinlin dans notre site (L’apport d’oncle Chuang au style du « vieil homme qui ne se lasse jamais d’apprendre » ), le présentant dans l’image ci-dessus comme chauffeur du Me Yang. Mais il s’agissait d’une erreur. Il y a eu confusion entre les deux homonymes. Ce qui correspond d’ailleurs bien à la différence d’âge qu’ils semblent avoir sur la photo (Chengfu est plus vieux de 30 ans) !
Autre problématique : Deux biographies de Zhang Qinlin co-existent et sont substantiellement différentes…
Mais ç’est là que ça devient intéressant !
L’une plutôt bien connue, a été écrite en 1972 par Me Wang Yen Nien, fondateur de l’école Yangjia Michuan, dans son livre « la transmission secrète de la famille Yang ».
L’autre a été écrite par le Me Ye Dami évoqué plus haut, en 1930. Elle n’a été mise au jour qu’assez récemment, en 2018, par Jiang Lan, l’un des élèves de Jin Renlin, lui-même proche disciple de Ye Dami. C’est ce qui explique qu’elle soit si peu répandue (pour l’instant !).
Il est souvent difficile de démêler le factuel de la légende dans les biographies des maîtres d’arts martiaux…
Voici néanmoins une présentation succincte de ces 2 biographies :
> Dans la biographie de Wang Yen Nien, il est précisé que Zhang Qinlin a été introduit dans la famille Yang comme serviteur, à l’âge de 14 ans… Il aurait ainsi acquis ses premières compétences en Taïchi Chuan auprès du père de Yang Chengfu, “en l’observant secrètement”. Lors du célèbre défi gagné contre Wang Laishen, venu provoquer Yang Chengfu en duel, il remplaça le maître et défendit si bien la famille Yang qu’il eût accès “aux secrets” de l’école via l’enseignement direct, “pendant la nuit”, de Yang Chengfu, de son frère (Shaohou) et de son père (Jianhou). Toujours selon Wang Yen Nien, Zhang Qinlin n’aurait eu que 7 disciples, dont seuls 3 auraient reçu l’enseignement “complet” (dont lui-même bien entendu).
> La seconde biographie, celle de Ye Dami, contredit clairement la première. Selon Ye Dami, Zhang Qinlin :
- a pratiqué le Fanzi Quan de Li Chengxi à 18 ans
- a pratiqué le Gongliquan et Tongjiquan de Yuan Tongxi à 19 ans
- a pratiqué à 20 ans les “poings canons”- Sanhuang Paochui – et le Taïchi Chuan avec Liu Donghan (1875~1950, lui-même élève de Yang Zhenqing)
- a été l’élève, durant 8 années, de Yang Zhenqing (encore nommé Yang Zhaolin, fils de Yang Fenghou, lui-même fils aîné de Yang Luchan (Yang Zhaolin 楊兆林; 1884-1922 – à ne pas confondre avec Tian Zhaolin).
- à l’âge de 37 ans, a rencontré Han Peihai (moine taoïste), avec qui il a appris le Taoïsme ainsi que les compétences internes de l’art.
Quelques anecdotes… pas si anecdotiques…
Une autre source affirme encore que c’est par le biais de concours d’arts martiaux qu’il a travaillé comme garde du corps durant 10 années dans sa jeunesse à Pékin (ce qui explique son rôle auprès de Yang Chengfu). Il a intégré la plus grande entreprise de sécurité de la capitale (Hui You Biao) et, suivant les règles de cette société, devient disciple de son fondateur, Song Mailun, celèbre Maître de “San Huang Paochui” (“boxe des poings canons des 3 empereurs”), véritable légende des arts martiaux de l’époque (avec Yang Luchan, Dong Haichuan, Liu Shijun).
En raison du développement des transports, des postes et des télécommunications, le «Huiyou» de Pékin, avec d’autres bureaux de sécurité, ont été dissous les uns après les autres et la carrière de garde du corps de Zhang Qinlin a également pris fin. C’est ce qui l’a incité à enseigner les arts martiaux pour gagner sa vie à partir de 1921, sous la direction de Yang Chengfu .
Il acquiert une très haute réputation en participant avec succès à plusieurs tournois dans tout le pays, c’est ainsi qu’il se fait connaître et plusieurs pratiquants le demande comme “Maitre”.
Bien qu’il ait travaillé pour la famille Yang et suivi les enseignements de Yang Jianhou, c’est seulement à 38 ans qu’il est devenu élève de Yang Chengfu, à la demande de Yang Jianhou. Il s’agissait de la période au cours de laquelle Yang Chengfu commençait à “ouvrir” son enseignement aux “extérieurs”. Beaucoup des premiers disciples de Yang Chengfu ont été instruits d’abord par son père, Yang Jianhou qui leur a demandé ensuite de devenir les disciples de son fils .
Pourquoi ?
D’une part, pour faciliter la renommée de l’école Yang, qui commencait à se faire connaître et à s’ouvrir au public. Soulignons ici que les enseignants vivaient de leur art. Il fallait donc non seulement que l’enseignement soit de qualité, mais également qu’il acquière rapidement une certaine renommée. Le Taïchi de la famille Yang devait donc permette de relever les défis avec succès et donc avoir des représentants formés et compétents…
D’autre part, comme nous l’avons vu plus haut, il est probable que Zhang Qinlin ait été chargé de protéger / préserver Yang Chengfu…
C’est à 41 ans que Zhang aurait été introduit par Han Peïhai auprès du fameux Zuo Laifeng, pour pratiquer le taoïsme et le gungfu de l’école “Jinshan Pai” créée par Sun Xuanqing (1496-1569) et les pratiques internes (Neïgong) basées sur la tranquillité et la relaxation.
A ce stade, il faut faire une pause ! … et proposer une petite généalogie de la famille Yang pour y voir plus clair…
La généalogie de la famille “Yang” : Est aussi assez complexe !
On a coutume de présenter la famille Yang, avec seulement 2 fils pour Yang Luchan, … oubliant souvent son fils aîné, Yang Feng Hou, peut-être parce qu’il est mort jeune.
Or, ce fils aîné a également eu un fils nommé Yang Zhaolin (ou Zhengqing : 1884 ? – 1922 ?), qui a été instruit en Taïchi Chuan par ses 2 oncles, Ban Hou et Jian Hou… suite au décès de son père.
Yang Zhaolin aurait eu lui aussi des disciples tels que Li Baoyou, Wang Qihe, Liu Donghan, Cao Ke… Zhang Qinlin, dont certains ont perpétué le style Yang, et d’autres ont développé d’autres styles tels que Wujia, Hao Yangjia…
L’héritage du Me Zhang
Zhang Qinlin a eu de nombreux élèves, dont plusieurs n’ont jamais cité son nom…
Pourquoi ?
On peut citer notamment le cas de Hu Yaozhen (1879-1974), célèbre maître de Qigong et de Xinyii Liuhe, qui a appris le Neigong et le taoïsme de la même famille que Zhang Qinlin (Jinshan ou Jindan). Il est connu pour son livre “le Jeu des 5 animaux” (cela parlera sûrement aux pratiquants du style “Cheng” qui pratiquent le Neïgong des 5 animaux… de Zuo Laipeng !). Il était un très proche disciple de Zhang Qinlin, sans pourtant jamais le citer.
Faut-il rappeler qu’à une certaine période, la Chine communiste et sa Révolution Culturelle ont en effet éliminé bon nombre de maîtres d’arts martiaux ? Il n’était donc pas “très bien vu”, à une certaine période, d’évoquer les Traditions anciennes ! C’est pourquoi Zhang Qinlin est peu évoqué (probablement à sa demande) dans les biographies de ses élèves… Après la fondation de la Nouvelle Chine et afin d’éviter les risques politiques, il a vécu isolé chez sa fille à Haozhuang, comté de Ningjin, ville de Xingtai à la fin des années 1950. Il a terminé sa vie, “se consacrant à l’enseignement de la boxe, pratiquant également la médecine, sauvant des vies et guérissant les blessés. Il était indifférent à la gloire et à la fortune, mais respecté de tous. Il est mort et a été enterré dans la tombe ancestrale de Shitou Zhuang, comté de Xingtai”.
Alors que de nombreux maîtres, dont le Me Cheng, ont choisi l’exil à Taïwan, le Me Zhang est resté en Chine… se faisant discret… On peut donc également supposer que le Me Cheng n’a pas cité Zhang Qinlin comme étant son professeur, pour protéger celui-ci.
Autre information intéressante… Le Me Zhang Qinlin a également enseigné au célèbre Wang Xiang Zhai… fondateur du “Dacheng Chuan”, dont l’un des grands principes-exercices est le Zhang Zhuann Gong : la posture du pieu et la recherche du mouvement dans l’immobilité…
Le Yichuan – Dacheng Chuan a donc également hérité de l’enseignement de Zuo Laifeng !
Le véritable héritier de la famille Yang ?
Certaines versions de “l’histoire” affirment que ce serait Zhang Qinlin, le véritable héritier de la 4ème génération du style Yang… Il aurait été choisi par le père de Yang Chengfu (Jianhou) au lieu de son fils (Chengfu), pour pérenniser l’enseignement. Yang Chengfu a en effet été l’un des premiers à diffuser le Taïchi Chuan à une large échelle, en dehors de la famille… Pour ce faire, il a (lui aussi !) modifié la forme qu’il avait reçue de sa famille jugeant certains aspects difficiles ou dangereux (sauts, etc…)… Zhang Qinlin aurait quant à lui été chargé de diffuser un Taïchi plus proche des origines…
Contrairement à ce qu’affirme le Me Wang Yen Nien dans sa version de la biographie de son maître, Zhang Qinlin a eu plus de 15 disciples de première génération… Sans compter sa descendance : sa fille Zhang Zhirou et son petit fils Zhang Baozhong (né en 1953), qui a aujourd’hui de nombreux élèves et successeurs. Il est peu probable qu’il ait pu choisir de ne transmettre la totalité de son art qu’à seulement 3 de ses disciples, excluant ainsi sa propre descendance…
Zhang Baozhong, petit-fils de Zhang Qinlin, président de la “Xingtai Zhang Qinlin Style Tai Chi Research. Association”. on le retrouve à gauche à côté de sa mère, “Zhang Zhirou”, fille de Zhang Qinlin. Dans la forme ci-dessus, on peut constater un “goût” commun avec la forme du Me Cheng (relâchement, postures plutôt hautes, continuité, “nager dans l’air”… et même les “mains de la “jolie dame”.
On citera parmi eux :
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(Il serait trop long de présenter chacun de ces maîtres, mais certains sont assez connus, vous pouvez les “googliser”)…
4 – Un autre patriarche important :
Zuo Laifeng (左一峰) :
Le travail interne et
l’apport de la douceur et de la tranquillité…
Zhang Qinlin a rencontré Zuo Laifeng (ou Yifeng – disciple Xuanyi de onzième génération de la branche Jinshan de la secte Longmen du taoïsme de Quanzhen), dans les années trente. De nombreuses légendes entourent ce personnage, réputé invincible (comme d’ailleurs tous les protagonistes de notre histoire !). Certains prétendent aussi que celui-ci n’aurait jamais existé.
Si l’on veut résumer, le Me Cheng Man Ching a à la fois hérité du travail interne du Taïchi “Yang” via Yang Cheng Fu, et du travail interne du Patriarche Zuo Laifeng, via Zhang Qinlin.
Il y a peu de sources d’informations qui permettent de vraiment distinguer les deux méthodes, mais si l’on compare les caractéristiques du style Yang et de la méthode “Cheng”, on peut en déduire que la méthode de travail interne de Zuo Laifeng (ou Zhang Qinlin) a fortement influencé le Me Cheng. Il est difficile de dire quels sont les apports personnels du Me Cheng par rapport à ce qu’il a reçu de Zhang Qinlin. On connaît peu de choses sur cette méthode interne spécifique à Zuo Laifeng… Cependant, quelques traces existent et permettent des hypothèses…
Zuo Laifeng pratiquait l’école de taoïsme “Jinshan”, qui est une branche de l’école taoïste “Quanzhen Tao Longmen” fondée par Sun Xuanqing, le prêtre taoïste de quatrième génération de l’école Longmen (1496 ~ 1569). Il y a donc une filiation bien identifiée de cette méthode taoïste… Très globalement, cette école met l’accent sur le retour au naturel, au spontané, et sur la tranquillité : “lorsque l’esprit est calme, le Qi revient à son état d’origine”… Ce qui correspond en tout point à la méthode “Cheng Zi” !
Le patriarche Zuo a donc enseigné 2 méthodes à Zhang Qinlin : une première méthode de travail interne du Taïchi (Neïgong), et une seconde méthode “de taoïsme Jinshan”. Le contenu précis de ces deux méthodes n’est pas connu. Cependant, le Me Cheng Man Ching a enseigné (à certains de ses élèves seulement) un Neïgong “des 5 animaux”, qui contient le travail interne de la méthode. Ce Neïgong est appelé dans notre école Lishan, “Neïgong de Zuo Laifeng” !
3 racines, 3 branches…
pour quels fruits ?
Résumons globalement ce que ces informations nous apprennent :
- Plusieurs versions des biographies des maîtres de notre lignée coexistent et sont différentes… Il est intéressant de les connaître pour mieux comprendre notre style.
- Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les échanges entre pratiquants, dans la Chine des années 20-30 étaient très fréquents et très riches : Sun Lutang, les frères Yang, Wang Xiangzhai, Li Jinglin, Zhang Qinlin, etc… se sont tous cotoyés, et ont échangé sur leurs arts respectifs, dont certains ont été forgés au feu de la guerre sino japonaise… Ils ont même parfois enseigné ensemble dans les premières structures “associatives” de l’époque.
- Ye Dami et Zhang Qinlin ont tous deux reçu l’enseignement des “3 Yang” : Jianhou (fils de Luchan) et ses deux fils Chengfu et Shaohou.
- Zhang Qinlin aurait également été l’élève d’un autre petit-fils de Yang Luchan, Yang Zhenqing (ou Yang Zhaolin).
- Zhang Qinlin a en outre reçu la transmission du travail interne et des méthodes taoïstes de Zuo Laifeng, basées sur le naturel, le spontané et la tranquillité.
- La conception selon laquelle Zhang Qinlin a laissé très peu de “descendance martiale” est erronée, de même que celle selon laquelle son professeur “Zuo Laifeng” n’aurait jamais existé, puisqu’il est référencé dans la lignée du Taoïsme Jinshan.
- Par conséquent, deux des maîtres de Cheng Man Ching sont issus de l’école Yang ancienne, et l’un d’entre eux a eu accès aux méthodes de Neïgong taoïstes.
- La pratique du Me Cheng a beaucoup évolué suite à ce qu’il a reçu de Zhang Qinlin…
- Il était également très cultivé et excellait en philosophie taoîste et confucianiste, peinture, poésie, calligraphie, et en médecine traditionnelle. Il est évident que ces compétences ont également influencé son Taïchi (Il serait d’ailleurs intéressant de connaître les liens entre les différents professeurs du Me Cheng, à travers ces différents arts !)
Que retenir de tout cela ?
N’importe quel enfant, s’il a un caractère et des traits physiques qui lui sont propres, hérite cependant de nombreuses qualités (… ou tares !) familiales… Certaines ressemblances sont parfois évidentes et indéniables, héritées du père ou de la mère… D’autres sont plus “mélangées”… Il en est de même du Chengzi Taïchi Chuan !
Notre style a hérité de “3 paternités” et si on lui reconnaît des caractéristiques propres, bon nombre sont héritées de ses parents et constituent le “patrimoine génétique” du style !
Au regard de tout ce que nous avons lu dans ce long article,
nous pouvons à présent identifier un peu mieux d’où vient ce goût si particulier du Chenzi Taïchi…
L'héritage "Chengzi"
Un principe "fondateur" essentiel, qui oriente toute la pratique :
Issu très probablement des méthodes internes de Zuo Laipeng, il s’agit du “leitmotiv” évoqué plus haut en introduction : la recherche permanente du relâchement et de la douceur, pour permettre la descente du Qi dans le Dantian. Pour l’atteindre, on parle notamment de “Song – 松” , terme chinois utilisé pour “se relâcher”, mais difficile à traduire précisément (“non utilisation consciente de la force musculaire”), et de “Chen”, “s’enfoncer” (qui sont les 2 premiers principes développés par le Me Cheng dans sa liste de douze)…
Pourquoi faire descendre le Qi au Dantian ?
Il s’agit là de la première étape / processus vers la réalisation de l’alchimie interne taoïste : progressivement “Raffiner le Qi”, pour transformer le Jing (“essence”) en Qi (“souffle”), le Qi en Shen (“esprit”) et le Shen en Xu (“vacuité”). Tout un livre ne suffirait pas pour expliquer et comprendre en détails ces notions. Mais ce que cela indique, c’est que l’objectif final est bien la vacuité et non une quelconque efficacité martiale.
Le but premier du Taïchi du Me Cheng est donc résolument spirituel. Mais cela n’exclue en rien les autres aspects !
Des principes "énergétiques" et techniques spécifiques qui en découlent :
De ce principe fondateur, découlent la plupart des caractéristiques techniques et/ou énergétiques de la méthode, dont nous en rappelons quelques unes ici, sans trop d’explications (il faut venir en cours pour cela !) :
- Des postures droites, verticales, plus hautes, avec la jambe arrière fléchie, et le corps “vertical”, suspendu…
- L’ouverture-relâchement maximal des “kuas”…
- La taille reste souvent de face et dirige le mouvement…
- Enracinement par le “song”,
- la “fermeture” des postures, par le pivot sur le talon…
- la “main de la jolie dame”…
- “nager dans l’air”…
- Balancier, et continuité des mouvements et des postures, pas “d’arrêt”…
- etc…
Afin d’illustrer ces principes, le Me Cheng Man Ching a proposé, à l’image des “10 principes du style Yang”, ses propres “12 principes” du Chengzi Taïchi.
Un travail "interne" (neïgong) spécifique :
On aborde ici un point délicat du Chengzi Taïchi Chuan : Le Neïgong ! Il a été source de conflits entre certains successeurs du Maître Cheng, probablement parce que celui-ci ne l’a pas enseigné à tous ses élèves… Il a en effet enseigné un peu différemment aux élèves de New-York, de Taïwan ou de Chine.
Certains élèves proches du Me Cheng considèrent que le Neïgong spécifique développé dans le style est une “invention” du Maître pour faciliter l’apprentissage, justifiant cette affirmation par le fait qu’eux-mêmes ne l’ont pas reçu, et que le Me Wang Yien Nien, l’un des héritiers de Zhang Qinlin, ne l’a jamais enseigné dans le Yanjia Michuan Taïchi Chuan… D’autres le voient comme une pratique héritée de Zuo Laifeng, autrefois secrète et qu’il aurait choisi de ne transmettre qu’à quelques personnes.
D’autres pratiquants le confondent avec les “song gong”, 5 exercices de relâchement proposés dans la branche “Huang Sheng Shyan” du style, mais qui en fait proviennent du style de la Grue blanche (de l’école Ming He Chuan).
Différents indices nous amènent à croire en l’hypothèse d’un héritage de Zuo Laifeng.
Notamment, le fait que Hu Yaozhen, disciple de Zhang Qinlin évoqué plus haut, soit très connu pour avoir développé un Qigong des 5 animaux proche de ce Neigong (avec les mêmes animaux). En outre, le Me Koh Ah Tee, élève du Me Cheng, fait explicitement dans une interview (https://lishan.fr/quelques-elements-sur-le-taichi-de-notre-famille-une-interview-de-me-koh-ah-tee/), référence à ce Neïgong comme un exercice très précieux hérité de Zuo Laifeng, ayant permis au Me Cheng de comprendre la différence entre “Li” et “Jing”, ce que même son prédécesseur, Chen Weïming, n’aurait pas compris (selon le Me Cheng).
Quoi qu’il en soit, ces oppositions n’enlèvent rien au précieux de ce véritable “trésor” de la pratique. Ce Neïgong, composé de 6 exercices spécifiques, associé à 5 ou 6 animaux, nous a été légué via la branche taïwannaise et est transmis dans notre école, sous le nom de “Zuo Laipeng Neigong”, en tant que pratique directement héritée du patriarche taoïste. Bien évidemment, ce “travail interne” n’est pas un simple exercice, mais la fondation même du style… On doit le retrouver dans tous les aspects de la pratique : forme, tuishou, sanshou, épée, etc…
Une forme en 37 postures :
Outre les principes évoqués plus haut qui diffèrent du style Yang, ce qui est vraiment emblématique du style Cheng Man Ching est la forme des 37 postures, spécifique à ce style et que l’on ne retrouve dans aucun autre…
Il est souvent dit que le Me Cheng aurait modifié la forme traditionnelle des 108 postures du style Yang pour simplifier la pratique de ses étudiants et rendre celle-ci plus accessible. En soi cette démarche est déjà très louable et intéressante. Mais la motivation principale du Me Cheng était vraisemblablemnt de revenir à l’essentiel, aux origines des formes anciennes (“small frame form”, école Yang ancienne…). C’est ainsi qu’il a simplifié la forme longue en une forme de 47 mouvements (oui, 47 !). Cette forme réduite, il a choisi à titre symbolique, de lui donner le nom de “forme des 37 postures” pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord, faire mémoire des origines lointaines du Taïchi. En effet, l’un des patriarches-ermites taoïstes chinois, s’appelait Xu Xuanping (許宣平) et vivait dans la montagne Chengyang sous la dynastie Tang, il y a environ 1 400 ans. Il avait une pratique proche du Taïchi qui s’appelait “San Shi Qi”, ou “trente-sept postures”. Celles-ci étaient pratiquées chacune individuellement, puis combinées librement pour former des formes, courtes, longues, ou interminables ! C’est pourquoi la pratique était aussi appelée “Chang Quan – poing long”. On attribue à Xu plusieurs poèmes célèbres sur les principes du Taiji Quan.
- Ensuite, ce style “des 37 postures” a été dévoilé au début du 20ème siècle par Song Shuming (宋书铭, ~1840-1925), qui a entre autres été le maitre de Wu Jian Quan (fondateur du style Wu), Xu Yu Shen, Liu En Shou, Liu Cai Chen, etc… Cette méthode, dans ses principes, était décrite comme pareille aux “Nuages et brouillard”, car accordant une grande importance au relâchement (song – 松), au fait “d’adhérer” (nian – 粘) et aux déplacements (bu fa – 步法).
Le Me Cheng a non seulement choisi de conserver ce nom pour “sa” forme, mais il a également nommé les différentes postures de sa forme du même nom que les “37 postures” de Xu Xuanping… (Ce qui l’a forcé à prendre quelques libertés et raccourcis dans la nomenclature officielle de sa forme en 47 postures, nommant différemment certaines postures identiques, ou regroupant plusieurs postures sous un seul nom !).
Ce choix du Me Cheng nous donne également ici une belle indication, non seulement sur une façon de pratiquer (chaque posture séparément), mais aussi sur la conception qu’il avait du Taïchi Chuan : aller au delà des formes… car là n’est pas l’essentiel !
Le Me Cheng, qui a donc reçu le style Yang ancien, le style Yang moderne, et le style “Zuo” (méthodes taoïstes), a réussi, de façon ingénieuse, à rendre à la fois plus simple (dans le sens de “essentiel”) la pratique de la forme, tout en revenant aux sources de la pratique !
Le travail à deux : Un tuishou emblématique et des principes de travail légèrement différents du style Yang.
Le tuishou du Me Cheng était très simple, à l’image de sa pratique… Seul un tuishou codifié unique, le “Si zheng tuishou” ou “tuishou des 4 coins” qui comprend les “4 premières portes” était proposé. Ensuite le tuishou libre, non codifié. Cela pour se concentrer non sur l’aspect technique, mais sur l’écoute, la neutralisation et la douceur… Les autres branches du style (dont la malaisienne notamment) ont ensuite développé de nombreux tuishou ainsi que leurs propres façons d’émettre la force : “fajing”). Les poussées du style Cheng (dans la mesure où il doit y avoir une poussée, car le principe central du Chengzi tuishou, est “d’investir dans la perte”, de céder), sont en effet “longues et déracinantes”, comme une vague, alors que certaines branches ont plutôt développé les “fajing “courts, “rebondissants”…
Une escrime particulière :
Avec la forme des 37 et le Tuishou, l’épée est le 3ème élément du tripode, socle de la méthode. Si d’autres formes à mains nues, d’autres armes peuvent être pratiquées, le trépied principal reste celui-ci. Le style Yang comporte aussi une pratique de l’escrime. Néanmoins, il est probable que le Me Cheng ait conservé certaines caractéristiques de l’épée de “Ye Dami” (héritées du fameux Li Jinglin) dans son enseignement de l’épée. Il a en outre beaucoup insisté sur la pratique du “Tuijian”, sorte de “tuishou à l’épée”, extrêmement formateur dans l’apprentissage de l’écoute, des distances et déplacements… et surtout très ludique !
Toutes les branches de l’école “Cheng” n’ont pas conservé l’épée (notamment la branche “Huang Sheng Shyan” qui l’a remplacée par la canne.
... et le sanshou ?
On parle peu de “sanshou” dans le style “cheng”. Ce n’est pas pour autant qu’il n’existe pas ! Mais il n’est pas la priorité recherchée. Certains élèves du Me Cheng ont développé des méthodes spécifiques de Sanshou (William C. Chen notamment), mais selon le Me Cheng, le tuishou devait être suffisant pour “se défendre”.
1950 : Photographie de la « Shi Zhong Xue She – 時中學社 »
Société d’enseignement du “juste rythme”
(terme un peu difficile à traduire)
Première association d’enseignement du Taïchi Chuan que le Me Cheng a fondée à Taïpei
Pratiquons-nous le style “Cheng”, finalement ?
Le “Cheng Zi” Taïchi Chuan dans notre école Lishan.
En tant qu’école de 3ème génération dans la filiation “Chengzi Taïchi Chuan”, l’école Lishan a hérité des 3 racines évoquées dans cet article. Grâce à l’énergie et la passion de son fondateur, Hérald Loygue. Elle a également reçu et pratiqué les 3 principales branches du style… (entre autres !)
Notre professeur a en effet débuté la pratique par l’école Yang Laojia Michuan (de Me Wang Yen Nien) durant plusieurs années, avant de rencontrer son professeur (Cheng Chisong – branche taïwannaise du style Cheng). Il a également étudié la branche malaisienne du style (Huang Sheng Shyan), et la branche américaine (W. Chen, Ken Van Sickle et Ben Lo).
Hérald Loygue est aujourd’hui l’un des représentants de 3ème génération de la “branche” taïwannaise. Il a étudié sous la direction de Me Chen Chisong, lui-même élève de Me Ke Kihua (柯啟華), dernier disciple “interne” du Me Cheng. Ke Kihua fut président de la “Zheng Zi Tai Chi Research Association” au sein de l’ancienne résidence du maître à Taïpei, de 1999 à 2001, juste avant le Me Ju Hongbin (2001-2002).
Pourquoi évoquer cette filiation ?
Evoquer cette filiation, outre pour son intérêt historique et pour la culture personnelle, nous permet aussi et surtout de nous rendre compte de la chance (et responsabilité) que nous avons que cette pratique vivante et précieuse nous soit transmise ici à Caen ! Il nous incombe, selon la tradition, de perpétuer à notre tour l’héritage de ce style que nous avons reçu de notre professeur.
Par la pratique des 3 différentes branches du style Cheng, nous avons en effet eu la chance de pouvoir faire les liens et d’étudier les apports, similitudes et différences de chacune d’entre elles.
“Notre taïchi” est donc aussi nourri par ces pratiques.
... Pour conclure.
Etudier l’histoire de notre pratique, de ses origines, à partir de sources différentes, de traductions, de témoignages,… n’est pas une mince affaire… Comme tout récit, celui-ci ne saurait être totalement objectif. A l’image des “5 aveugles tâtant l’éléphant”, il ne s’agit là que de ma propre compréhension / interprétation d’un “bout de l’éléphant”, forcément limitée.
Celle-ci est également limitée par ce que j’ai compris de l’enseignement de mon professeur, Hérald Loygue, qui lui-même enseigne sa propre compréhension du Chengzi Taïchi.
Son professeur, Chen Chisong, évoquait d’ailleurs :
“Chacun ne peut faire que son propre “style”, son propre taïchi,
seul Me Cheng peut faire du ‘Cheng taichi’…
penser en termes de styles, c’est faire mourir le taïchi !”.
Sources d’information utilisées pour la rédaction de cet article :
- Enseignements oraux de notre professeur, Hérald Loygue, 3ème génération de la lignée Cheng Man Ching.
- Ecrits du Me Wu Guozhong (élève du Me Cheng Man Ching)
- Ecrits du Me Qu Sijing (“Yang Family, une famille”), élève du Me Huang Jinghua, lui-même élève de Ye Dami et Yang Cheng Fu aux côtés du Me Cheng Man Ching.
- Ecrits du Me Jian Lan, élève du Me Jin Renlin, lui-même élève de Me Ya Dami
- Diverses sources chinoises, occidentales… et russes !
Les autres articles à propos de notre style :
Certains de ces articles sont anciens, les informations sont donc actualisées par le présent article.
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Source : https://indomaster.nl/chengmanching-taichi-denhaag.html
Traduction par Francis Martin...
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