“Cette violence qui nous taraude” : L’efficacité du Taïchi Chuan en question…

Réflexions du moment

14 mai 2018

…Par Emmanuel.


Il fut un temps où, pour me réveiller le matin, j’utilisais un radio-réveil branché sur “France-Infos”. Comme je ne suis pas spécialement rapide au saut du lit, il me fallait bien cinq minutes pour émerger… temps cependant largement suffisant pour, avant même d’avoir posé le pied par terre,  avoir déjà plusieurs morts sur la conscience… Attentats, agressions, meurtres,… en boucle tant que le poste est allumé… de quoi se mettre bien en forme pour la journée, avant la pratique du matin !

J’ai depuis changé de fréquence, préférant “radio nostalgie”, mais il suffit tout de même d’allumer la télé, la radio ou de lire la presse quotidienne pour constater que la violence est partout présentée aujourd’hui : Des études statistiques ont montré que “grâce” aux médias, un enfant français, “téléspectateur moyen” de 10 ans, a déjà assisté depuis sa naissance, à plusieurs milliers de meurtres… Sans parler des agressions verbales, des viols, des bagarres, etc… Difficile d’imaginer que cela n’ait aucun impact sur son comportement ou sa capacité d’empathie…

Internet prend le relais de cette violence virtuelle, pour montrer la “vraie vérité” à travers les nombreux sites de partage de vidéos : de vraies bagarres, de vrais meurtres, de vraies agressions à l’arme blanche… parfois filmées et publiées par leurs propres auteurs !

Il semble donc difficile aujourd’hui, de se sentir en sécurité… même enfermé chez soi à double tours… Par conséquent, de façon logique, les gens sont inquiets et recherchent de plus en plus des moyens de se défendre, d’être formé en cas d’agression…

L’évolution actuelle des arts martiaux va dans ce sens, s’adaptant aux principales motivations des pratiquants : Les disciplines réputées être les plus efficaces “en self-défense” sont ainsi celles qui connaissent aujourd’hui de plus en plus de succès (kravmaga, mma, etc…), au détriment des disciplines plus “traditionnelles”. Les associations et fédérations des arts plus “traditionnels” l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’elles se sentent obligées désormais, pour limiter les pertes de licenciés, de donner plus de crédibilité à leur discipline en y ajoutant une petite dose d’efficacité supplémentaire, un label “self-defense”… C’est ainsi que l’on voit apparaître du “karaté de rue”, de la “savate défense”, de la “boxe de rue”, ou encore du “real aikido”…

Ainsi, faire du “karaté de rue”, serait forcément plus moderne et efficace que du “karaté de dojo”… et le “real aikido”, est forcément plus efficace que l’aïkido normal, … celui de Me Ueshiba !

Quid du Taïchi ?

Bien souvent, “Efficacité”, n’est pas le premier mot qui vient immédiatement à l’esprit de lorsque l’on entend le terme “Taïchi Chuan”. On pense plutôt à la souplesse, à la douceur, au bien-être… Voire parfois aux petits vieux en pyjama dans les parcs…

Pourtant, le Maître Cheng Man Ching, malgré son style si doux mettant l’emphase sur le relâchement, insistait beaucoup sur l’importance du “Chuan”, l’aspect martial du Taïchi : Sans le Chuan, il n’y a pas de Taïchi Chuan”… Les Maîtres fondateurs du Taïchi étaient d’ailleurs tous redoutés pour leur “efficacité martiale”.

Sifu Hérald Loygue n’a de cesse également, d’insister sur le caractère complet de son Taïchi, qui doit être “applicable” de façon efficace et cohérente quelle que soit la situation… Le travail des défenses contre une agression au couteau est d’ailleurs bien présent dans son enseignement, et parfois bien éprouvant… (voir notre précédent article).

Il m’arrive donc de temps en temps, après certains de ces cours, de me rendre sur Youtube afin de visionner quelques scènes pour comparer, m’interroger et tenter d’en tirer quelque enseignement :

Que ferais-je si…. ?

Comment “mon” Taïchi pourrait-il me permettre de m’en sortir dans telle ou telle situation d’agression ?

Pourrais-je appliquer ce qui m’est enseigné ?

Sur ce fameux site de vidéos, on trouve d’une part, des “tutoriels martiaux”, dans lesquels se côtoient les démonstrations d’experts, enseignant comment trancher la gorge de son agresseur avec un “karambit” après lui avoir plongé plusieurs fois dans le ventre, ou encore, comment une femme de 45 kg pourra aisément désarmer un gaillard de 80 kg, armé,  grâce à un blocage en croix au dessus de la tête…

2 visions différentes du “réalisme”
(… et de la responsabilité à l’enseigner…)

 

 

 

 

 

D’autre part, on trouve également une multitude de scènes d’agressions réelles, au couteau ou à mains nues, souvent d’une violence inouïe… J’en ai regardé de nombreuses, à en avoir parfois la nausée.

C’est curieux, mais presque jamais, je n’ai pu reconnaître clairement dans ces scènes, l’une des techniques de self-défense habituellement enseignées dans les arts martiaux, toutes disciplines confondues, y compris celles “labellisées”… Le plus souvent, lorsque  la victime s’en sort, c’est plus par chance que par technique… Souvent également, les attaques se font par surprise, par derrière, sans aucune menace préalable… On y trouve entre autre le knock out game, le nouveau “jeu” actuellement en vogue aux Etats-Unis, qui cause plusieurs décès par an et ne tardera pas à se développer dans nos “quartiers sensibles”… Il consiste à frapper au hasard et par surprise un passant dans la rue, dans le but de le mettre KO d’un seul coup… juste pour “le fun”…

Bien qu’il y ait certainement des exceptions, et qu’évidemment, tout n’est pas filmé, il m’est bien difficile de dire dans ce que j’ai vu, quelle technique martiale, ou même quelle discipline martiale pourrait m’être utile si je me retrouvais par malchance dans l’une de ces situations…

…déconseillé aux âmes sensibles…
Désolé pour ces images, mais cela donne une petite idée…

 

 

Alors, quel est l’intérêt de pratiquer un “art martial” aujourd’hui ?

Un expert de self-défense reconnu, expliquait de façon un peu abrupte, que protéger sa famille est un devoir… “Si l’on n’est pas capable de protéger sa famille, on ne fonde pas une famille”… Difficile ne pas acquiescer… cela implique donc de se former et d’apprendre la méthode la plus efficace. Mais quelle est donc cette méthode, et comment s’y retrouver, puisque tous les pratiquants considèrent leur art comme le meilleur ?

Sifu Hérald nous parle parfois de son professeur d’eskrima, Le célèbre Suro Mike Inay, formateur de polices d’élite américaines, mort d’une crise cardiaque à 50 ans. Son homologue, Ted Lucay Lucay, également expert en eskrima, est mort au même âge également d’une crise cardiaque… Handy Hug, l’un des plus grands champions de kickboxing et du K1, est mort d’une leucémie à 36 ans. Mickaël Millon, champion du monde de karaté, d’une overdose à 30 ans… etc…

Où est donc l’efficacité dans tout cela ?
… et de quelle efficacité parle-t-on ?

Les maîtres japonais “pionniers” des principaux Bûdô (littéralement : “arrêter la lance” et par extension, la violence), G. Kano pour le Judô, M. Ueshiba pour l’Aikidô et G. Funakoshi pour le Karatedô, voyaient dans leur pratique quelque chose de bien plus profond que le simple fait d’apprendre à combattre. Afin de les rendre accessibles au plus grand nombre en tant que “Voies d’éducation” ou de réalisation (le “Dô”), ils ont jugé nécessaire, tout en leur conservant un certain esprit martial, d’en édulcorer les aspects techniques les plus dangereux et violents. Pour cette raison ils ont tous, dans un premier temps, été très critiqués et rejetés par leurs pairs, tenants des “Bujutsu”, “arts” purement guerriers, pour qui ces nouvelles disciplines n’avaient désormais plus de valeur…

Enlever l’aspect martial d’un art de combat, quel qu’il soit, c’est en effet l’amputer d’une bonne partie de sa substance… Les pratiquants réguliers savent bien que s’entraîner avec un “esprit martial”, ou en situation de stress (assauts), modifie complètement l’état d’esprit, et donc la technique…

A l’inverse, ne considérer les arts martiaux que comme des préparations, des méthodes de défense personnelle, permettant de développer ses compétences au combat, c’est il me semble passer à coté de quelque chose d’essentiel…  Certains s’entraînent toute leur vie dans cette optique… Des décennies d’entraînement intensif, pour “être prêt” un jour, au cas où…  Espérant parfois même  que “ça” arrive… à en devenir paranoïaque.

Me voilà donc partagé entre deux orientations dans ma pratique : le désir d’en découdre, de m’éprouver pour être “prêt au cas où”, et l’aspiration à être “en paix”, calme, détendu… Entre un Taïchi “bien-être et non violent”, et  un “Taïchi de Rue”…

Ces deux orientations sont-elles compatibles ?

Revenons un peu aux études statistiques : Si elles démontrent, certes, un sentiment d’insécurité plus important que jamais… elles indiquent aussi que paradoxalement, au regard des siècles et même des décennies passées, les actes d’agression violents n’ont cessé de diminuer (Voir cet article tiré du Monde)… Cette impression inverse serait en fait due en partie aux médias, pour qui les faits divers sont bien plus “vendeurs” que les autres, et qui se livrent en ce domaine une concurrence et une surenchère féroces… Y-a-t-il donc vraiment nécessité d’apprendre à se défendre “à mains nues” aujourd’hui en France ? Acheter une bombe lacrymogène ou un tazer ne serait-il pas plus simple et bien moins coûteux que de passer plusieurs heures par semaines à transpirer pour apprendre des techniques incertaines ?

Les exercices fondamentaux du Taïchi Chuan, consacrés à la répétition lente et consciencieuse de mouvements souples et relâchés, au travail du tuishou sans opposition, mettent surtout l’accent sur l’écoute et l’attention au souffle, à la posture et au mouvement : “Laisser descendre le Qi au dantian”. La pratique peut donc sembler, pour ses détracteurs, déconnectée de la réalité “martiale”,  inadaptée “au combat dans la rue” et réduite à une simple “méditation en mouvement” (ce qui en soi, n’est déjà pas si mal !).

Pourtant, pratiquer l’écoute et l’attention, dans les mouvements du Taïchi et par extension, dans les mouvements du quotidien, débusquer et observer nos crispations et notre réactivité à travers la pratique des postures, le travail lent et relâché, … permettent peu à peu  de développer un état d’esprit calme et vigilant, bien utile dans toute situation ou relation. Bénéfique en assaut sportif comme “dans la rue”,  cet état d’esprit nous permettra de mieux anticiper, d’avoir le recul nécessaire pour éviter ou “gérer” les situations, les lieux, les personnes, ou les mouvements “à risque”. Cela semble au moins aussi valable et réaliste, martialement parlant, que de développer une technique ultra-efficace, mais qui sera bien souvent inapplicable en situation de stress intense (inhibition de l’action – voir les études intéressantes de H. Laborit ; effet “Tunnel”,… )…  Ce sera en outre, bien plus utile face aux multiples petites agressions du quotidien, au travail, en voiture, chez soi… où le manque de vigilance crée incompréhension, maladresse et conflit.

Vous souvenez-vous du film culte de Kurozawa, “les 7 samurais” ?

Au début du film, le “recruteur” avait imaginé un test pour sélectionner les meilleurs samurais : il consistait à les convier à l’intérieur d’une maison et, caché derrière une porte, à leur asséner un coup de bâton sur la tête au moment de passer le seuil. Le premier invité, bien-sûr, recevait le bâton sur la tête… Le second très habile, avait le temps d’esquiver et de riposter… Quand au troisième, plus vigilant, il a tout simplement refusé d’entrer… Lequel a donc été le plus efficace ?

Au delà de cet aspect un peu romantique,  il semble cependant essentiel, comme le propose parfois Sifu Hérald, de pratiquer de temps en temps en situation de stress important (couteau, bâton, dans l’idée d’avoir à “sauver sa peau”) et avec des partenaires de pratique moins complaisants… Une pratique plus dynamique du Taïchi… Cela ne reflètera jamais la réalité ni la violence d’une agression, mais nous permettra au moins d’avoir une petite idée de nos réactions, de nous confronter à notre propre peur. On s’aperçoit alors, que ce qui vient, spontanément, est plus de l’ordre du réflexe que de l’apprentissage technique et on apprend à travailler avec cela, “à faire avec” et si possible à l’orienter de façon cohérente… On s’aperçoit aussi que ces réflexes naturels sont finalement très proches des techniques de bases du taïchi (peng, lu, ji, an, zhou, kao, lie, tsai…). Les anciens Maîtres du Taïchi qui les ont enseignées n’étaient donc pas si naïfs !

Mais toutes ces qualités développées par une pratique “virile” n’ont de sens qu’appliquées à la vie la plus quotidienne. Il ne s’agit pas d’être prêt à dégainer à tout moment, mais de savoir se déplacer correctement, pour se placer au bon endroit, et agir conformément aux principes du Taïchi, dans toutes situations. “Rester droit”, dans tous les sens du terme, “et détendu, quoiqu’il arrive”… comme le disait le Grand-père Cheng.

« Para Bellum » : Qu’est-ce que l’efficacité finalement ?

« Si vis pacem para bellum »…
« Si tu veux la paix, prépare la guerre »

… selon l’expression latine attribuée au chrétien Végèce dans son Traité de l’art militaire (Epitoma Rei Militaris) du IVe siècle…

Dans le monde de l’entreprise le terme « efficacité » n’a de sens qu’au regard d’un objectif… Un agent efficace est celui qui atteint les objectifs fixés… Et ce sont les agents “efficients” qui sont d’ailleurs les mieux notés, puisque  contrairement à l’efficacité, « l’efficience », tient compte des moyens mis en œuvre pour atteindre un objectif…

Ainsi, si l’on recherche la beauté et la paix… pratiquer de beaux gestes harmonieux dans un esprit paisible sera probablement plus efficace que de répéter 1000 fois des coups de pieds dans le vide en imaginant un adversaire…

Inversement, si l’on recherche la sécurité, acheter un tazer sera bien plus efficient que de « mouiller son kimono » 5 heures par semaine…

Alors, que recherchons-nous à travers notre pratique ? et comme nous le dit si souvent Sifu Hérald à l’instar de son propre professeur :

“Que voulez-vous ?”

Le Grand-Père Cheng, bien que chinois,
aurait certainement préféré cette maxime :

« Si vis pacem… para pacem”…

 

Emmanuel

 


Quelques références pour aller plus loin :

http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2007-01-26/violences-a-la-tele-les-records/920/0/100137

http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-la-television-rend-elle-violent-28360.php

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/643484-insultes-humiliations-bienvenue-dans-les-programmes-tele-pour-enfants.html

http://www.lesinrocks.com/2013/11/30/actualite/knockout-game-tuer-devient-jeu-11449404/

http://www.terrafemina.com/societe/buzz/articles/36827-quest-ce-que-le-l-knockout-game-r-nouveau-l-jeu-r-violent-en-vogue-aux-etats-unis-.html

http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1748164/2013/11/27/Le-Knockout-Game-un-jeu-qui-consiste-a-frapper-des-innocents.dhtml

 

Vacances de Printemps

Les vacances de Printemps auront lieu du 20 avril au 3 mai.

Voici les cours qui sont maintenus durant les vacances : 

  • Qigong et Daoyin :
    Lundi 29 avril 10h15 et
    Lundi 29 avril 12h130 
  • Taïchi : Le cours du Jeudi 25 avril à 19h30
  • Kungfu : le cours du 30 avril à 18h30

Les cours durant les vacances sont ouverts à tous les adhérents, quel que soit le forfait choisi. C’est aussi l’occasion pour les non adhérents de venir faire un cours d’essai gratuit !

Retraite de Printemps de Taïchi : Les inscriptions sont ouvertes !