Témoignage de Sophie, pratiquante de longue date de Taïchi Chuan, 4ème Duan, enseignante de Taïchi Chuan à Paris.
Il fallait s’y attendre, le temps allait s’arrêter. Au départ de Paris, l’horloge de la gare saint Lazare m’en avait alertée. « Ici, il n’y a pas d’autre aiguille que toi. Toi pour identifier où tu es. Tiens-toi prête pour l’instant présent ».
Le train, la traversée de l’Orne, et 10 mn à pied plus loin, je trouve la porte du dojo. A peine franchie, je découvre un écrin pour la lumière. Tout de bois et d’invitations à la pratique. Chaque objet est posé de façon à nous rappeler à notre responsabilité : celle de s’ouvrir pour apprendre.
Ici, place à l’essentiel. Le reste peut attendre au vestiaire. Chaque plante, livre ou photo agissent comme les parties d’un tamis : laissons à la surface l’agitation, gardons le sourd et le profond.
Le stage commence, chacun se place.
Respirations, inspiration. Ecoute de soi et présence à l’instant. Abandon et concentration.
Les débutants ont de quoi faire leurs premiers pas. Les plus aguerris, de quoi explorer « chaque jour comme un nouveau pas », « chaque pas comme le premier ».
Toute la journée, il sera question des fondamentaux, que chacun prendra ou reprendra à son niveau.
Les exercices alternent et se complexifient imperceptiblement : trouver son axe, placer la structure, chasser les tensions.
Régulièrement, nous sommes invités à écouter la trace du mouvement dans l’immobilité, pour en sentir les bienfaits. Ancrer, mémoriser. Garder le sans effort (et le plaisir qu’il procure) dans les mouvements, puis dans les exercices à deux.
Les temps en cercle, à écouter et questionner, s’intercalent avec les temps de pratique. Les feuilles de papier se couvrent de signes chinois, d’explications anatomiques, biomécaniques ou énergétiques. Chacun prend des notes, et reprend, dans sa pratique, les propositions d’exploration.
Le cadre est posé, sans être pesant.
La pratique à deux, c’est continuer à pratiquer en écoutant son centre, grâce à l’autre. Vérifier sa structure, grâce à la poussée de l’autre.
Mouvements pendulaires, étirements spiralés, depuis notre centre, les mouvements prennent racine et s’amplifient.
Souvent, il faut faire moins. Moins de mouvements. Moins d’efforts surtout. Chasser les tensions.
C’est dans le mouvement, c’est avec le mouvement, que l’on trouve le centre, le point d’ancrage et l’immobile.
Le corps reconnaît le bon placement, la juste ondulation, la spirale naturelle, en laissant s’exprimer une pure vitalité.
Le mouvement n’est pas une dispersion de l’immobile. C’est l’amplification de sa dynamique. Il en est l’une des expressions.
Le corps a reconnu la juste sensation : le sourire affleure.
Le « sans effort » demande de l’entraînement. Le « sans effort » procure du ravissement.
Les exercices, de simples contacts au début, se complexifient. Peut-on garder le même relâchement avec plus de vitesse et d’énergie ? la même qualité d’alignement, de placement des épaules, du bassin ?
A qui aurait oublié qu’il s’agit d’un art martial, à qui oublierait que ce qui fait du bien contient les ingrédients de ce qui est efficace dans un contexte plus confrontant, il suffira d’ouvrir grand les yeux pour essayer de comprendre ce qu’il se passe lorsque, comme dans les classiques, sous vos yeux, « une once soulève une tonne ». Rebonds, projections, les murs en tremblent…. dans le sourire et la fluidité.
Nous passons naturellement des exercices en solo aux exercices à deux, et inversement. Avec les partenaires, nous cherchons à percevoir « le sol dans la main », l’élasticité que le non-effort donne au corps relié. Traquer ce qui trouble, perturbe et affaibli dans le contact à soi, à l’autre, au sol, à notre racine, à notre essence : les tensions, l’inattention.
Je suis venue pour apprendre. Mais ici, apprendre n’est pas prendre. C’est enlever. Enlever le superflu.
C’est en ressortant de la journée de stage que l’on mesure le chemin parcouru. La qualité d’état d‘être atteinte. Quant à la progression technique, point d’illusion. Il faudra de la pratique. Déclics et pratique.
Au retour, chaque pas est le mouvement du balancier. Le centre est bien installé, prêt à battre les pavés de la capitale.
Sous l’horloge de la gare Saint Lazare, le temps s’est arrêté, mais la pratique continue.