En cette période de préparation de la rentrée, voici un rappel, s’il le fallait, des WUDE, ou “vertus chevaleresques des arts martiaux…
Ce texte est une très belle introduction pour présenter nos cours de “KUNGFU” de l’an prochain !
On se demande parfois… “mais qu’est-ce que le KUNGFU finalement” ?…
Voici une magnifique réponse à travers cet article de notre professeur, Hérald Loygue, datant d’il y a environ 10 ans, qui décrit les “WUDE”…
Ce texte est d’autant plus important aujourd’hui, où le sens de l’engagement, de la parole, de la persévérance,… se raréfient…
Cela les rend d’autant plus précieux…
« L’ Entraînement aux 5 engagements… »
L’enseignement des “arts martiaux” chinois possède une philosophie propre.
Deux grandes raisons à cela :
- L’influence du monastère bouddhiste Shaolin, haut-lieu d’origine de ces arts : Les vœux de moines obligeaient à une « certaine attitude », même au combat.
- La deuxième s’est imposée naturellement lors des transmissions de Maîtres à disciples : Peut-on enseigner des techniques meurtrières à n’importe qui ?…
Ces arts mortels étaient réservés à la survie, à la protection des villages et de la famille face aux hordes de pillards, de brigands… Ils ne pouvaient être utilisés à des fins vulgaires… lors de problèmes de voisinages…
Au sein d’un pays confucianiste, soumis aux influences taoïstes, la question du « De », de la vertu des élèves, était au coeur de la préoccupation de l’enseignant : l’élève risquait-il de déshonorer l’école, la famille, le professeur ?
Des qualités essentielles ont donc été assez vite recherchées dans la pratique. Peu à peu, les guerres cessant, à l’instar du passage du Justu (technique guerrière) au Dô (voie de réalisation) au Japon, la pratique est devenue une voie possible afin développer ces qualités.
Ce ne sont pas les qualités physiques qui sont regardées dans l’acceptation d’un élève, mais les « Wude »…
Et c’est avant tout dans les actes que l’on juge de la qualité atteinte, plus concrètement, dans les relations avec le professeur, les autres élèves, les pratiquants d’arts martiaux en général, pour s’étendre à tout un chacun…
Le “Shaolin wude”, ou « vertus martiales de Shaolin », énumère les différentes « qualités chevaleresques » requises dans la pratique de cet art et les propose comme des engagements à tenir envers et contre tout, comme des repères dans le comportement envers le professeur, les autres élèves et dans la vie quotidienne.
Les « 5 engagements du cœur et des actes » peuvent ainsi être vus comme des qualités développées par ou durant la pratique martiale, ou encore comme des exercices d’entraînement pour développer ces mêmes qualités : Ainsi, pratiquer en toute circonstance la patience permet de devenir patient, développer le courage permet de devenir courageux…
Comme des graines que l’on sème dans un champ, nous récoltons ce que nous semons…
Le pratiquant responsable de sa vie n’attend pas qu’une grâce hypothétique lui tombe du ciel, mais prend sa vie en main et décide de ce qu’il veut pour lui même et l’univers entier. Nos actions ont des effets, et si elles ont des effets négatifs, source de souffrance, elles peuvent aussi avoir des effets positifs, source de bonheur.
La question à laquelle chacun devrait se soumettre est : « Et moi, qu’ai-je fait de mon Talent » ?
Issu du monastère bouddhiste Shaolin, le Shaolin Wude, est bien évidemment dans le prolongement direct de la doctrine bouddhiste de base des 5 Sila, ou préceptes bouddhistes.
Les 5 sila :
- Ne pas faire de mal aux êtres vivants, (ne pas tuer et donc protéger la vie)
- Ne pas prendre ce qui ne nous appartient pas (ne pas voler),
- Ne pas avoir de mauvaise conduite sexuelle,
- Ne pas médire ou s’abstenir de toute parole fausse,
- Ne pas consommer de drogue qui altère la conscience.
Ces 5 préceptes font partie d’un enseignement global dont nous présentons rapidement la structure de base, propre au trois grands courants du bouddhisme :
Le « Discours de Bénarès » :
premier enseignement public du Bouddha
La Doctrine (Dharma) a été exposée par le Bouddha historique (Siddharta Gautama) dans un enseignement connu sous le nom de « Quatre Nobles Vérités ». C’est le principal enseignement de son premier discours public, à Bénarès, peu de temps après son Eveil.
Le bouddha Shakkyamuni, souvent comparé au « grand médecin », y présente son enseignement comme une démarche thérapeutique :
1ère Vérité : le symptôme.
Dukkha : l’insatisfaction, la souffrance fondamentale inhérente à la condition d’existence humaine.
2ème Vérité : le diagnostic.
Cette insatisfaction fondamentale trouve son origine dans l’ignorance (avydia) de sa véritable nature et le désir d’appropriation (et de rejet), propre à une vision voilée, contaminée du mental, l’ego.
3ème Vérité : la thérapeutique.
Il existe un état de Santé fondamentale (sukkha), où l’ignorance étant abolie, la nature de l’esprit, claire et spacieuse, transparait naturellement.
4ème Vérité : le remède.
Pour retrouver cet état de santé fondamental, il convient de suivre une Voie (« l’Octuple Sentier », comme une fleur à huit pétales) qui met fin à l’ignorance et au désir d’existence propre, séparé.
Si le constat dressé par le Bouddha semble pessimiste (toute existence propre, séparée est soumise à l’insatisfaction), son enseignement, lui, est optimiste puisqu’il affirme que chacun peut retrouver la santé, dans une existence où toute Insatisfaction est abolie. Pour parvenir à retrouver la Santé, sa propre « nature de Bouddha », il faut s’adonner à l’étude et à l’entraînement… Ne pas faire que lire l’ordonnance : il faut prendre le médicament, c‘est à dire pratiquer !…
Les trois premières « Vérités » invitent à l’étude, qui permet de comprendre l’origine de l’Insatisfaction (la nature de l’esprit et des phénomènes). Elles expliquent pourquoi notre expérience habituelle est « erronée » et proclament la possibilité de mettre fin à l’Ignorance. Ces trois premières « Vérités », développées, expliquées et commentées, constituent la doctrine.
La quatrième « Vérité » préconise l’entraînement, par l’application concrète de méthodes aptes à transformer l’expérience habituelle en expérience d’éveil, libre de toute déformation et confusion. Cette quatrième « Vérité » expose les principes qui donneront naissance aux différentes formes de la pratique.
L’Octuple Noble Sentier
Exposée dans la Quatrième Noble Vérité, la Voie – ou Chemin – se présente en huit catégories (Octuple Noble Sentier), regroupées en t rois parties : Sîla, la conduite éthique, Samâdhi, méditation ou la discipline de l’esprit, et Prajñâ, intelligence ou sagesse « intuitive ».
Sîla permet d’agir dans le domaine du samsâra, de réduire le karma « négatif » et de développer le karma « positif », afin de créer un environnement favorable à la pratique, la sienne et celle des autres. Elle comprend trois catégories : parole juste, action juste et moyens d’existence justes.
Samâdhi permet à chacun, individuellement, de calmer l’esprit, de connaître et de maîtriser son fonctionnement et ses « pouvoirs ». Il comprend : l’effort juste, l’attention juste et la concentration (ou recueillement) juste. C’est ce qu’on appelle généralement, en Occident, la « méditation ».
Prajñâ est l’accès à la réalité ultime, et son développement augmente d’autant plus que l’attachement diminue. Elle est issue de l’écoute, de la réflexion personnelle et de la mise en pratique des enseignements. Elle consiste en : pensée juste et compréhension juste.
La base de la pratique est donc la discipline. Elle porte sur le comportement extérieur, les actions physiques et verbales, mais aussi la pensée intérieure et donc participe directement à l’entraînement à la méditation.
La méditation, à son tour, soutient la discipline… Les deux sont elles-mêmes soutenues par leur motivation commune. Une pratique équilibrée et correctement motivée se fonde sur certaines convictions – qui peuvent résulter de tendances « innées » ou de réflexions nourries par l’étude – et sur des instructions demandées et reçues au cours d’un enseignement suivi avec un maître. Ainsi, les différents aspects de l’Octuple Chemin se nourrissent mutuellement et la pratique se doit de les appliquer tous en même temps…
La méditation – ou plutôt « l’entraînement de l’esprit », au sens propre du terme – consiste à placer l’esprit dans un état d’équilibre entre détente et attention, sans agitation et sans fixation.
Comme une fleur à huit pétales, le Chemin octuple et la pratique des préceptes s’enracinent donc dans une pratique concrète au quotidien.
C’est ainsi qu’il faut considérer les engagements du cœur et des actes : Comme des pratiques à part entière pour guider, orienter notre quotidien et changer notre attitude et notre vie. Les problèmes et autres souffrances n’arrivent pas par hasard. Le bouddhisme considère qu’ils s’originent dans une chaine de production conditionnée de cause à effet. Un effet produit toujours un résultat. Aussi, veiller à ce que nous semons est une bonne méthode pour changer l’à-venir.
WUDE
Les « 5 engagements du coeur »
Respect (Zun Jing) :
Le respect commence par soi. Ne pas s’avilir par des pensées, des paroles ou des actes arrogants, orgueilleux ou méprisants, d’abord envers soi, puis envers les autres… Il se prolonge naturellement dans son rapport aux autres et par voie de conséquence, aux élèves, à l’enseignement et à l’enseignant. Le respect est le fondement de toute relation. Ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent… est un premier pas seulement. Se respecter en tant qu’être humain, c’est développer un comportement à la hauteur de notre noblesse…
Humilité (Qian xu) :
L’humilité vient de humus, de la terre. C’est garder toujours sa tasse vide, ainsi elle peut toujours être emplie… Dans ce monde impermanent, rien ne dure jamais. Ne pas s’enorgueillir de ce qu’on pourrait appeler une réussite. Car d’un bien nait souvent un mal, et d’un mal peut naitre un bien. En toute chose conserver un esprit équanime. Le dernier enseignement du bouddha (8 satori du grand homme) nous enseigne à « se contenter de peu » et « en toute chose, être satisfait ».
Droiture (Zheng yi) :
Suivre le chemin de justesse que l’on s’est f ixé. Etre droit n’est pas être rigide… La droiture doit être un chemin de conduite, une manière de vivre. Faire, incarner, ce qui est juste dans chacun de ses actes… Ne pas se laisser détourner par « le moindre chant des sirènes » et ne pas céder à la tentation de la facilité, de la rapidité, de la consommation… Ainsi, chaque acte doit toujours être éclairé par la sagesse intuitive et non par les émotions. Un acte émotionnel est rarement juste (même s’il est sincère) et traduit t rop souvent les ambitions ou les craintes d’une personne.
Sincérité et justesse sont deux choses bien différentes. Une personne dont les actes traduisent la droiture est naturellement respectée.
Confiance (Xin Yong) :
Confiance en soi, tout d’abord en sa propre capacité d’éveil… puis en la pratique. Confiance en l’enseignement, confiance dans l’enseignant. Il faut du discernement. Mais arrive un moment, lorsque vous rencontrez « l’Ami de bien », où il faut développer la confiance, c’est à dire être capable d’aller au delà des limites que le moi a posé. Etre une personne digne de confiance, c’est ne pas être une girouette qui tourne en fonction de la direction du vent, mais avoir mené en soi une profonde reflexion sur ce que l’on veut… et s’y tenir. C’est déveloper un regard qui va au-delà des apparences. Aucune promesse ne doit être faite à la légère. Etre une personne de confiance est la meilleure façon d’être respecté. Il faut respecter chacun de ses engagements.
Loyauté (Zhong Cheng) :
Est loyal celui qui a le sens de l’honneur et de la probité. C’est la racine de la confiance. Encore une fois, avant d’être dirigée vers notre professeur, notre école, nos f rères et sœurs de pratique, la loyauté nous concerne nous mêmes. Sommes-nous loyal envers nous-mêmes ? La loyauté, c’est faire tomber les masques qui nous défigurent en nous faisant adopter « des stratégies personnelles ». La loyauté est basée sur la confiance. La loyauté est la clé de voûte de la confiance. Un pratiquant doit rester loyal envers son maître et son école. La t radition de l’apprentissage des arts martiaux a depuis longtemps été basée sur la loyauté entre l’élève et le professeur, le disciple et le maître. Cette loyauté se construit par un double engagement : Un élève qui ne pense qu’à ses intérêts personnels ne trouvera pas de maître qui accepte de lui t ransmettre son savoir.
Les « 5 engagements des actes »
Volonté (Yi zhi) :
Cette énergie, qui siège dans les reins selon la médecine chinoise, clef de voute de toute activité. « Avoir les reins solides » dit la sagesse populaire… Elle nous parle de notre capacité à aller vers les choix qu’on s’est fixés, sans en démordre. Les reins fonctionnent avec le cœur. C’est le feu du cœur qui réchauffe l’eau des reins et l’eau des reins qui tempère le feu du coeur. Un équilibre doit être trouvé entre désir et force d’action, capacité à réaliser, au risque de s’épuiser. Contrôler le feu est un principe important de l’entraînement. Trop de feu consume, mais insuffisant, le feu s’éteint… La fermeté de la volonté dépend de la sincérité avec laquelle on s’investit dans la quête de son but. Les petits désirs (modes, tendances, loisirs, distractions,…) comme des petits feux, s’éteignent vite au premier vent venu.
Endurance (Ren Naï) :
Celui qui supporte la souffrance, qui a de la patience à endurer, quelle que soit la souffrance, est endurant. Celui qui, malgré les vents contraires, réaffirme chaque jour sa direction et marche… Chaque pratiquant doit étudier son art en faisant preuve d’endurance. Sur n’importe quel chemin d’apprentissage, beaucoup d’obstacles peuvent s’élever : des critiques du professeur à l’inertie dans son propre entraînement, de l’orgueil à l’acédie, en passant par la boulimie… Les « 8 vents furieux » de l’esprit soufflent sur le feu de la pratique : celui-ci peut nous brûler ou s’éteindre… Attention, délicatesse, demande d’aide et entretiens réguliers auprès de son professeur ou des anciens, sont le plus sur moyen de résister au « chant des sirènes », qui n’attendent que notre naufrage.
Persévérance (Yi Li) :
Continuer, poursuivre, persister, être ferme dans ses résolutions, constant dans sa foi… La persévérance traduit l’envie de progresser. Ce n’est que dans les difficultés de l’apprentissage que l’on peut distinguer les bons pratiquants : ceux-ci, malgré les difficultés, continueront à étudier afin de franchir une étape dans leur apprentissage. Car tout apprentissage est fait de périodes de progression et de périodes de stagnation. Souvent, un élève ne peut se sortir d’une période de stagnation que grâce à sa persévérance. Le professeur peut guider l’élève, mais ce sera toujours ce dernier qui devra faire l’effort pour franchir les obstacles qu’il rencontrera.
Patience (Heng Xin) :
Action de supporter l’adversité, la patience permet au pratiquant de mieux prendre ses décisions sur la voie à suivre dans son apprentissage. Souvent, les explications d’un professeur peuvent sembler incompréhensibles, voire même inadéquates à la situation. Pourtant, en faisant preuve de patience, l’élève pourra comprendre le sens de ces explications et en tirer le meilleur parti possible pour progresser. Les personnes qui réussissent ne sont pas toujours les plus « intelligentes », mais souvent les plus patientes à endurer et à persévérer. L’endurance, la persévérance et la patience vont de pair et expriment une même énergie, témoignent d’une forte volonté. Mais une forte volonté peut-être employée à mauvais escient, dirigée dans une mauvaise direction… C’est pour cela que les 5 engagements du coeur sont les plus importants : humilité, respect, droiture, confiance, loyauté sont les dispositions de cœur qui orientent la force de la volonté. Les épreuves doivent nous apprendre à devenir doux, attentifs, indulgents, délicats, bons (tout en restant justes)… et avant tout envers nous mêmes.
Courage (Yong Gan) :
Force d’âme devant le danger, le courage au sens étymologique, parle avant tout de cœur. Ce n’est pas l’absence de peur mais au contraire, de s’y ouvrir et d’aller au delà, vers la non-peur. Le courage est la capacité à regarder les choses telles qu’elles sont et non pas chercher à les modifier d’une façon violente. La droiture ne peut exister que si l’on a le courage de faire ce qui est juste. Au niveau martial, même avec des années d’entraînement, un bon pratiquant peut être mis en difficulté dans la rue par une femme démente armée d’une fourchette. Les vertus ne sont pas séparées, elles sont liées les une les autres… Le courage ne va pas seul, mais avec l’humilité, la patience, la confiance en soi,… Il parle également du respect de la vie et cela peut passer par éviter le combat à tout prix. Un combat qui n’a pas lieu est un combat gagné, quelles que soient les circonstances. Si vraiment le combat ne peut être évité, alors il faut agir sans hésitation. La sagesse montre le chemin à suivre, le courage met en place les décisions à prendre. On n’est pas courageux, on pratique le courage, on n’est pas patient, on pratique la patience… Peu à peu, instant après instant, ces graines vont germer et donner des fruits dans notre conscience, changer nos comportements… C’est dans la contemplation silencieuse que l’on comprend la racine de toutes les colères, impatiences, lâchetés… Voir leur insubstantialité et cesser de s’y identifier, permet d’agir au quotidien et de développer une autre relation à soi, profondément non violente, de développer d’autres comportements… Car la première victime, c’est toujours soi ! Au final, le but à atteindre, le gong fu, c’est délaisser les conditionnements, les préfabrications, les limites que le moi pose pour atteindre la libération. Devenir adulte, humain par la pratique d’un art, n’est pas au loin mais dans les décisions chaque jour renouvelées, par les actes posés dans la direction que l’on a choisie. Ce que nous serons demain est le résultat des actes d’aujourd’hui, ce que nous somms aujourd’hui, le résultat des actes posés hier. Dans les deux cas, changer quelque chose suppose de regarder et agir dans l’instant présent. Ce chemin peut sembler insignifiant, c’est pourtant de cela dont il s’agit :
“La Voie se déroule en marchant, est créée par nos propres pas. Elle est là où nous sommes, exactement.”
Plus que d’éveil, il y a une vie éveillée ….