La « MISE EN TRAIN »… n’est pas suffisante : Ce qu’il faut, c’est arriver au bon endroit… en bon état …
La mise en train est bien plus qu’un simple échauffement…
De la même façon que l’empereur unifia la Chine à travers la maîtrise de la Voie des eaux et des canalisations… Chacun doit re-devenir roi de son propre royaume par la maîtrise de la circulation des souffles en lui. Lorsque les souffles sont obstrués, la maladie apparaît…
Le propos de la pratique des fondamentaux, c’est de poser une voie solide et cohérente à la circulation des souffles. Là est le Jibengong, la racine de tout véritable travail…
La qualité développée par le travail des préparations…
Poser les bases d’une circulation fluide des souffles dans le respect du tissu que nous sommes, permettra une pratique généreuse, harmonieuse et non traumatisante.
Le caractère Jing (traduit improprement par méridiens), nous parle du maillage d’un tissu fait de fils qui s’entrecroisent, pour dire que ce Tout que nous sommes, est fait d’une somme de parties tissées selon une trame et une organisation particulière (Li) qu’il nous faut « mettre à jour »…
Ce corps que je suis, forme visible et mouvante (xing), n’est que la manifestation, le témoignage d’une infinité de fils, de souffles et de circulations, qui s’organisent secrètement sous le regard bienveillant du Souverain (le cœur-esprit).
Là est le sens de la Praxis. Veiller à la libre circulation des souffles… Soutenir le Sain, Nourrir le terrain, Faire face à ce que nous sommes…
Les jibengong (exercices de base) s’adressent à ce que nous sommes dans notre globalité. Il s’agit à la fois d’une pratique du corps, de la forme (xing), du souffle (qi) et de l’esprit (shen). Comme l’étymologie l’indique (ben : racine), ce sont des exercices fondamentaux, des « exercices-racines »… Ils ne sont pas un exercice de préchauffage, mais nous parlent plutôt d’un subtil « accordage », au risque d’abîmer l’instrument, le navire…
Ces exercices s’adressent à nos tendons (gérés par le foie en médecine traditionnelle chinoise), à nos os et articulations (gérés par les reins), à nos vaisseaux (gérés par le cœur), à nos muscles, chairs et tissus (gérés par la rate/pancréas), à nos viscères (zangfu), à nos souffles-énergies (qi), à notre esprit (shen)…
L’image du navire nous est proposée, un navire dont les haubans seraient les tendons, les voiles, les muscles et les chairs, l’ossature, le mat et la coque, les os… et tout bon marin sait que toutes ces parties vivent et souffrent des conditions climatiques, des tempêtes, du manque d’entretien…
Toutes ces parties du navire n’étant pas séparées mais formant un tout indissociable et normalement cohérent, gouverné par un capitaine.
Le manque de cohérence, de libre circulation et de nutrition correcte des tissus, sont les points de départ de toute maladie, selon la médecine chinoise.
Cela, à l’image d’un Etat dans lequel les connections entre les villes, que nous appelons routes, seraient obstruées, empêchant ainsi la circulation des denrées dont nous avons besoin pour subsister…
Rendre cohérent, fluide, connecté, l’ensemble des parties, favorise le tout et c’est là un des objectifs de toute pratique sérieuse…
Mais…
Une somme d’exercices posés les uns à côté des autres ne fera jamais une pratique cohérente…
La loi des ensembles devrait nous éclairer sur ce sujet :
« Un tout est fait d’une somme de parties mais une somme de parties ne fait pas forcément un tout ».
Il y a un chemin (dao), une direction, un fil directeur à la pratique des jibengong qui doit être fonction des objectifs de la préparation. Celle-ci peut se faire du centre vers la périphérie, du haut vers le bas ou inversement. Diverses méthodes sont proposées selon une routine qui a un sens, une direction…
L’attention est requise pour ne pas faire d’une pratique de type qigong, une gymnastique suédoise exotique… L’ouverture des « portes » et des « barrières » de la nuque est bien plus qu’une simple rotation de la tête.
L’objet est de préparer le travail, ou plutôt de se mettre « en travail », comme le serait une femme enceinte et ainsi d’ouvrir l’espace nécessaire à la naissance d’une nouvelle forme…
Je compare cela à la préparation d’un instrument de musique avant le concert… L’ajustement est délicat, nécessaire et soumis aux conditions ambiantes, comme la température de la salle…
Certaines variations doivent donc s’opérer en fonction de la saison, du moment de la journée…
On ne pratique pas l’hiver comme l’été, alors que les tendons sont beaucoup plus longs à réchauffer. Avoir chaud ne signifie pas que les tendons le soient…
On ne pratique pas le matin comme le soir… Les pratiques du soir devraient favoriser l’apaisement du yang, au risque de ne pas pouvoir dormir… Le matin, période yang de la journée, est le moment propice à l’exercice physique dans lequel il faut savoir entrer…
Ces variations doivent s’opérer également en fonction de ses propres « saisons » qu’il faut savoir respecter : Les cycles menstruels, l’adolescence, qui est une période de forte croissance physique ou de fatigue, etc.
La fatigue n’est pas due qu’au vide de Qi. Le plus souvent d’ailleurs, c’est la stagnation du Qi qui est en la cause. Il faut donc savoir remettre celui-ci en mouvement sans l’épuiser…
Bref… En toutes choses il ne faut pas se blesser, blesser sa propre énergie…
La non-violence commence avec soi…
Les fonctions de nos jibengong seront donc :
- D’ouvrir les articulations, de restaurer le jeu articulaire et de lubrifier les articulations (notamment par les rotations en grande amplitude sans forcer).
- D’étirer et de perméabiliser les jingluo (les méridiens) par des étirements.
Cela toujours sans forcer car l’étirement favorise la contraction musculaire et sollicite ainsi beaucoup les attaches…
- D’harmoniser les différentes qualités énergétiques et plus spécifiquement yingqi (couches nutritives plus profondes) et weiqi (couches défensives plus superficielles), particulièrement par les percussions.
- De détendre les muscles et les tendons, de libérer les spasmes (par des serrages).
- De favoriser la circulation du qi et du sang (par des pressions spécifiques et l’ensemble des techniques)
- De connecter entre elles les différentes parties du corps en ouvrant les « portes » (men) et les « barrières » (guan) par des mouvements d’ouverture et/ou d’essorage de la colonne vertébrale par exemple.
Les rotations (yaofa), les percussions (koujifa), les serrements (nienafa), les étirements (bashenfa), les torsions (banfa), les poussées/lissages (tuifa) les pressions (anfa), le secouage (doufa), les balancements, les flexions… sont autant de moyens à la disposition du praticien de tuina (massage chinois) comme du pratiquant de Taiji quan.
Chacune de ces méthodes a sa fonction.
Nous allons étudier les effets et la pratique de l’une d’entre-elles :
KOUJIFA, de l’art des PERCUSSIONS…
L’art des percussions est une méthode commune aux arts martiaux internes et au tuina, le massage chinois.
Certaines écoles de massage chinois ou d’arts martiaux, comme la boxe du singe, en ont fait leur pratique principale…La fonction générale de percuter/frapper (kou) est :
– d’activer la circulation du qi et donc du sang (puisque le sang est véhiculé par le qi),
– de lever les blocages/stases,
– de consolider les jingluo (méridiens et ramifications).
La vibration produite par les percussions a pour effet d’harmoniser les différentes couches énergétiques, notamment celles du yingqi (qi nourricier) et du weiqi (qi défensif). Elle stimule par ce fait l’immunité (énergie défensive, weiqi) et consolide le biao (la surface du corps) face aux attaques externes (xieqi).
Conserver une bonne circulation du Qi est une excellente méthode de prévention. Car selon la médecine chinoise, c’est de la lutte entre l’énergie saine (zhengqi) et l’énergie morbide (xieqi) que découle la maladie, dysharmonie durable dans l’équilibre yin-yang du patient.
Les percussions fortes seront utilisées pour disperser, drainer, mettre en mouvement. Elles seront destinées aux parties yang du corps (dos et extérieur du corps) et aux plénitudes, alors que les percussions plus douces viseront à renforcer ou consolider. Celles-ci seront donc portées sur les parties yin du corps et les lieux en vide.
L’on pourra percuter une seule fois ou percuter de façon répétée sur des rythmes qui peuvent varier.
L’on pourra exécuter koufa avec la racine de la paume, le dos du poing, le tranchant de la main, la main en cuillère… voire avec un instrument en bois de rotin ou mûrier.
En général, il faut commencer les percussions doucement, puis augmenter progressivement l’intensité, avant de diminuer celles-ci pour revenir peu à peu à des frappes légères.
L’ action principale, nous l’avons déjà dit, est de clarifier l’esprit (shen), stimuler le psychisme, restaurer la conscience – c’est à dire que cette méthode peut aussi être utilisée comme méthode de réanimation à l’instar des kuatsu japonais – , de drainer les méridiens et de favoriser la circulation du qi et du sang. C’est pour cela qu’elle est utilisée avec d’excellents résultats dans les écoles de tuina pour traiter les problèmes neurologiques (telles que séquelles d’AVC, engourdissements, fourmillements, vertiges, éblouissements…), traumatologiques, rhumatologiques ou pédiatriques.
Il existe dans la famille de koujifa un grand nombre de techniques :
Koufa, percuter avec le poing, jifa, taper avec le tranchant de la main, paifa, tapoter la main en conque, zhuofa, percussions en bec de grue ou griffe de tigre sur une zone large, jidian, percussions en bec de grue sur un point précis, tanfa, chiquenaude, etc.
Dans la suite de cet article (Jiben gong… fu – (2) : La mise en train à la lumière de l’énergétique chinoise), nous verrons comment cette approche théorique fonde la mise en train spécifique au Taiji Quan et lui donne sa cohérence du point de vue de la circulation des Souffles.
Hérald Loygue